En quarantaine
Gérard Ruiz. Chilly 1992.

 Tu doublais par grand vent,
Le cap vert des vingt ans,
La mer était houleuse,
Et la route hasardeuse.
Matelot hésitant,
Poussé par les courants,
Tu louvoyais alors,
Mouillant dans chaque port.
Ton bateau frêle esquif,
Evita le récif,
Mais l'ongle des sirènes,
Erafla la carène.
A peine une avarie,
Le large tu repris,
Loin des rives et des ports,
Tu naviguais alors.

 Il faut rester en rade,
Vous êtes bien malade,
Désolé capitaine,
Vous êtes en quarantaine.
Les équipées sauvages,
Vous avez passé l'âge,
Amener la misaine,
C'est fini capitaine,
Vous êtes en quarantaine.

 Le phare de l'avenir,
Guidait ton beau navire,
Tu doublais, capitaine,
Le cap de la trentaine.
Du marin solitaire,
Ecartant les misères,
Une femme tu pris,
En guise de compagnie.
Toutes voiles dehors,
Tu tirais bord sur bord,
Emmenant l'équipage,
Vers de nouveaux rivages.
Et vogue la galère,
Sur les eaux de la terre,
Et passent les saisons,
Vinrent deux moussaillons.

 Quarantièmes rugissants,
Tout ça n'est que du vent,
Il fallait dès hier,
Te fixer sur la terre.
Bâtir une maison,
Rempli de venaison,
Sur un lopin de terre,
Plutôt qu'une galère.
Au lieu de ça tu cours,
Sur les mers au long cours,
Infestées de requins,
De crabes et d'oursins.
Le cap Horn des cinq-
quante balais au loin,
En funeste saison,
Se pointe à l'horizon.

 Tu es un vieux pirate,
Que les embruns dilatent,
La coque rebondie,
Et le pont dégarni.
Le cœur en cale sèche,
Fini la grande pêche,
Tu es un capitaine,
Entré en quarantaine.

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